Sobriété : la leçon de sagesse de Mark Zuckerberg

Publié dans le magazine Transitions & Energie N°4 mars 2020

Comment trouver des ressources supplémentaires ? Il y a deux réponses bien connues. D’abord, en prospectant pour dénicher de nouveaux gisements. Ensuite, en évitant de gaspiller celles qu’on a déjà. Les gouvernants, en même temps qu’ils essayent d’organiser une transition vers de nouvelles formes d’énergie, tentent de développer des politiques de « sobriété ». C’est ce qui a amené récemment la France, dans un autre domaine que celui de l’énergie, à adopter une loi « anti-gaspillage ». Les sociétés développées comme la nôtre ont une étonnante faculté à dilapider des biens qui pourraient encore servir et à gâcher des denrées encore parfaitement consommables. On rougit de honte à la vue de nos poubelles et vouloir remédier à cette gabegie semble légitime. Pourtant, ce gâchis n’est en rien lié à une mauvaise gestion. Il est simplement la résultante d’une situation d’abondance.

Lorsque les biens sont à profusion et disponibles à bas prix, nous consommons et rejetons à l’excès. Ainsi, nos décharges sont pleines comme les vergers sont jonchés de fruits pourris lors des années fastes… Sans rareté, point de sobriété. Le législateur l’a en partie compris lorsqu’il essaye, à l’aide de taxes, d'augmenter artificiellement le prix pour « mimer » une situation de pénurie. Il use cependant de l’outil fiscal sans excès car le bon peuple, dont il tire sa légitimité, abhorre ce genre de subterfuge compliquant artificiellement son existence. Dans la mesure où la nouvelle loi n’entend en rien modifier la situation d’abondance, il y a de grandes chances qu’elle n’ait aucun effet. Pour être sobre et vertueux, il ne sert à rien d’aimer passionnément la planète ou d'être un citoyen bien éduqué, il faut être pauvre ou démuni… Dans le cadre de la nouvelle loi, il sera donc intéressant d’étudier les nouvelles formes de gaspillage qui, en contournant les nouvelles règles, ne manqueront pas d’apparaître au « marché noir ». Le fleuve en crue a en effet toujours besoin d’un exutoire…

A vrai dire, dans l’opulence, désirer organiser la sobriété est une gageure. Il y aurait peut-être, cependant, une mesure qui aurait une petite de chance de produire des effets. Elle nous est suggérée par le célèbre fondateur de Facebook : Mark Zuckerberg. Il y a quelques années, il s’était lancé, pour un certain temps, le défi de « tuer ce qu’il mange ». Ainsi, avait-il commencé par égorger un poulet, une chèvre et un cochon avant que ces derniers ne viennent garnir la table familiale... Ensuite, parce que tuer des animaux lui coûtait, il était devenu presque végétarien, non par « conviction », comme on le comprend, mais bien par « obligation ».

La leçon que dispense le PDG de Facebook est que la sobriété peut être induite par une expérience concrète qui nous plonge dans le bain des réalités. Dans les sociétés d’abondance, le « quotidien » ne pèse plus et nous oublions la valeur des choses. Face à ce constat, l’idée est donc de développer des programmes d’éducation s’inspirant de « l’expérience Zuckerberg ». Ainsi, après les cours de mathématiques, de français et d’histoire, les écoliers iraient bêcher la terre, sacrifier des poulets, les dépecer, les vider et les découper soigneusement. Ils devraient aussi collectivement actionner la meule qui produit l’huile indispensable au fonctionnement de leur bus scolaire. Au fond, ils seraient replacés dans la situation de ces innombrables enfants de paysans qui, dans la première moitié du XXème siècle, après avoir travaillé à la ferme, venaient recevoir des leçons que le cadre familial et villageois ne pouvait dispenser. Les enfants d’aujourd’hui, gavés des enseignements théoriques de leurs écrans, livres et parents, viendraient ainsi recevoir à l’école leur leçon d’humilité et de sobriété. Il est à parier que ce genre de programme aurait un effet plus puissant que les lois « anti-gaspi » ou que les innombrables cours d’éducation au « développement durable » qui produisent à la chaîne des éco-citoyens de papier, pour ne pas dire de carnaval. Ceux qui ont côtoyé des individus ayant vécu dans des situations difficiles savent que ces derniers montrent des comportements plus vertueux même dans la situation redevenue favorable. Leur modération est liée aux expériences concrètes qu’ils ont vécues et qui se sont inscrites en eux durablement.

Devant ces écoles adaptées au défi du siècle à venir, je vois déjà la tête horrifiée des parents citadins. On les aidera alors à se souvenir des enjeux de sobriété, que tout ceci est pour le bien de la « planète ». On leur rappellera aussi que leur progéniture suit les traces d’un sage, héros de la Silicon valley, qui s’était dissimulé dans un costume d’adolescent.