Les incendies dans la zone d'exclusion de Tchernobyl sont-ils une menace?

De gigantesques incendies se sont déclarés le 4 avril dans la zone d'exclusion de Tchernobyl en Ukraine où s'est produit le plus grande catastrophe civile nucléaire de l'histoire en 1986. L'incendie entretenu par le vent et la sécheresse demeure difficile à maîtriser. Les autorités ukrainiennes se veulent rassurantes: «les infrastructures cruciales de la zone d'exclusion ne sont pas menacées», a indiqué un responsable des services d'urgence – Mais Greenpeace affirme que les flammes ne sont qu'à «environ 1,5 kilomètre» de la nouvelle arche qui recouvrent et protège le sarcophage construit en catastrophe autour du réacteur numéro 4 détruit en 1986.

Bertrand Alliot a de nombreux contacts dans la région de Tchernobyl et a réalisé pour la magazine Transitions & Energies un long reportage sur la zone d'exclusion publié dans le numéro de l'hiver 2019. Il répond à nos questions sur les risques liés à l'incendie.

T&S. Pouvez-vous d'abord nous rappeler à quoi ressemble la zone d'exclusion de Tchernobyl?

Bertrand Alliot. «La zone d'exclusion, aussi grande que le Luxembourg, se situe à environ deux heures au nord de Kiev à cheval entre l’Ukraine et la Biélorussie. Il s’agit d’une zone quasiment sans relief. Le sol est très sablonneux, signe de la présence d’un ancien océan. La forêt recouvre une grande partie de la zone. Il y a un mélange d’essences d’arbre, mais les pins dominent. 

Ce n’est pas une zone «interdite», mais  une zone très réglementée. Plusieurs milliers de personnes y travaillent toujours pour le démantèlement et la protection de la centrale et pour gérer ce qui reste aujourd’hui d'un centre de distribution d’électricité. Enfin, jusqu’il y a 3 semaines, Tchernobyl était le lieu d’une intense activité touristique. Il s’agit du site le plus visité d’Ukraine. Des touristes du monde entier, parmi lesquels beaucoup de fans de la série HBO sur la catastrophe, viennent découvrir les ruines des anciens villages et de la fameuse cité fantôme de Prypiat.» 

Que vous disent vos contacts sur place sur l’ampleur et les dangers des incendies?

«Les incendies ont commencé au cœur de la zone au début du mois d’avril. Il y a deux principaux foyers. L’un est situé à l’ouest. C'est le plus important. L’autre se situe très près du cœur de la zone entre la ville de Tchernobyl et les anciens réacteurs dont le réacteur numéro 4 qui a été récemment « enchâssé » dans un dôme construit par l’entreprise Novarka (voir la photographie ci-dessus). Environ 500 hommes sont mobilisés sur le terrain pour lutter contre les incendies ainsi que 3 canadairs et 3 hélicoptères. Ces derniers jours, 158 kilomètres de «tranchées» ont été réalisés par des engins spéciaux, dont le travail est grandement facilité par la nature très meuble du terrain, pour stopper la progression des flammes.

Ces feux sont très vraisemblablement d’origine humaine. Il faut savoir qu’ils ne sont pas inhabituels ni dans la zone, ni dans le reste de l’Ukraine. En octobre dernier, nous avions remarqué à plusieurs endroits des zones défrichées qui servent de «coupe-feu», comme on peut en observer en France. Les feux sont cependant plus virulents que les autres années à cause notamment des conditions météorologiques (sécheresse et vents forts). Les autorités ont pris récemment des mesures beaucoup plus coercitives pour empêcher les feux d’origine agricoles (habituels à cet période de l’année) et les feux d’origine criminelle.

L’un de mes contacts, Aleksandr Sirota, qui est tous les jours dans la zone était plutôt rassurant au début des incendies, mais j’ai senti son inquiétude monter jusqu’au 13 avril où la situation était apparemment devenue très difficile. Depuis, la pluie est tombée et la tension et un peu redescendue même si de nombreux foyers restent actifs.»

Y-a-t-il un problème aujourd'hui avec les niveaux de radioactivité des cendres et des nuages de fumée liés aux incendies?

«Les nouvelles venues des autorités sont rassurantes sur les «fuites»  radioactives. Le centre qui réalise les mesures des niveaux de radiation pour l’Agence nationale ukrainienne qui gère la zone de Tchernobyl signale que même si les taux de césium 137 peut être plus élevé dans la zone qu’en temps normal, il est assez largement en deçà des niveaux présentant une menace radiologique. Par ailleurs, les fumées se dispersant, il se produit une «dilution». Dans la ville de Kiev, il n’y a eu aucune élévation du niveau de radioactivité ambiante ce qui est confirmé par Institut français de Radioprotection et de Sécurité Nucléaire (IRSN) qui possède un instrument de mesure à l’Ambassade de France situé dans la capitale Ukrainienne

En ce qui concerne le réacteur, il faut reconnaître que les feux n’en sont guère éloignés: deux kilomètres tout au plus. Cependant, à la fois mes contacts sur place, l’entreprise Novarka ainsi que le Ministère des Situations d’Urgence m’ont confirmé qu’il n’y avait pas de danger. Il est vrai que la zone de Tchernobyl est une zone presque entièrement rendue à la nature où la forêt s’épanouit, mais je peux témoigner que la réalité est tout autre dans le cœur de la zone où se situe le réacteur. Ce secteur, où plusieurs milliers de personnes travaillent quotidiennement, est très protégé et très bien entretenu. Il n’y a ni forêt, ni buissons, ni broussailles. Le feu n’a donc pas de combustible et le réacteur est naturellement à l’abri, même si j’imagine, les gestionnaires du site restent vigilants.»

Quels sont les risques liés à une possible extension des incendies? 

«Au sujet du réacteur et de la radioactivité, je suis plutôt rassuré. Par contre, il y a sans doute un problème dont personne n’a encore parlé. Tchernobyl est devenue une zone de tourisme importante. Le tourisme a commencé doucement il y a plus de 20 ans et s’est développé de manière spectaculaire au cours des dernières années après notamment le succès planétaire de la série HBO qui relate d’une manière romancée mais fidèle, le drame survenu il y a plus de 30 ans. Toute une économie touristique s’est construite autour de ce site et les projets ne manquent pas.

Aujourd’hui, les ruines de Tchernobyl, celles de la ville de Prypiat, mais aussi celles des nombreux villages et petites villes, des installations industrielles, des fermes collectives, des camps de vacances pour enfants constituent un des grands intérêts de la zone. Nombre d’entre elles sont apparemment parties en fumée et ceci est peut-être en passe de remettre en cause les projets de développement touristique. Cela m’attriste car la visite de la zone m’a beaucoup marquée. Il s’agit d’un lieu  naturel remarquable, mais je sais que la nature, comme toujours, reprendra ses droits rapidement.

Tchernobyl n’est pas un lieu faisant l’objet d’une curiosité «malsaine», comme on l’entend parfois. Il s’agit d’un morceau d’Ukraine qui renferme une partie de l’histoire du 20ème siècle et qu’il est instructif et passionnant de visiter.»