De quoi le récit écologique est-il le nom ?

Paru dans Valeurs Actuelles le 06 juillet 2020

En invoquant sans cesse la crise écologique et les remèdes drastiques qu’il faudrait mettre en place pour y échapper, l’homme essaie de faire oublier qu’il est un être vivant ordinaire, avant tout soucieux de son confort et de son bien-être.

Pour comprendre le « phénomène écologie », il faut commencer par remonter le temps. L’écologie est née d’une indignation qui s’est très vite doublée d’une intuition. L’indignation était provoquée par les dégradations esthétiques induites par la société industrielle. C’est la naissance de la passion pour la « nature », ce patrimoine incomparable que menaçaient les pelleteuses. L’intuition qui a succédé à l’indignation était que la course effrénée de transformation de l’environnement allait entraîner le monde à sa perte. Les hommes allaient épuiser leurs ressources, les pollutions générer des problèmes de santé colossaux, l’explosion démographique des famines, le manque d’eau allait provoquer des guerres, etc. Au fond, les écologistes ont postulé l’arrivée d’une crise liée à la rupture d’un « équilibre ». 

A l’époque où il commence à émerger, le raisonnement se défend : on pouvait légitimement se demander où nous entrainerait le système industriel. L’ennui est que les catastrophes annoncées ne se sont jamais produites... Les problèmes « environnementaux » se sont multipliés, mais, d’une part, ils ont pu être contrôlés assez efficacement par des politiques publiques et, d’autre part, ils n’ont pu masquer un fait incontestable : l’humanité, malgré l’explosion démographique, n’a cessé de mieux de se porter (en termes de niveau et d’espérance de vie). Grâce à son intelligence, l’être humain a su de manière magistrale déjouer les pièges et repousser les limites.

Alors, comment expliquer la persistance à considérer que nous soyons entrés dans une période de « crise » écologique ?  Pour répondre, il s’avère utile de faire un peu d’anthropologie. L’être humain est fondamentalement resté un être vivant comme les autres à la différence près qu’il ne supporte pas d’en avoir conscience. C’est pourquoi il a toujours cherché à raccrocher son existence à des « récits ». Les animaux se contentent de vivre, l’être humain, lui, a un besoin vital d’exister... Il s'invente des histoires et, à l’occasion, se lance des défis qui lui permettent de sublimer la réalité, de le mettre dans une position où il pourrait exercer une « liberté » à même de démontrer qu’il n’est pas un être vivant ordinaire. 

Ce besoin est sans doute d’autant plus fort qu’il se laisse aller à ses instincts. Il y a, dans le monde entier, une soif intarissable de bien-être matériel. Les sociétés riches ont développé la consommation de manière spectaculaire et les loisirs et les spectacles ont fini par prendre une place considérable. En fait, plus il y a d'opulence, plus s’affirme une part d’animalité et plus apparaissent, dans le même temps, des discours qui le dissimulent. La société d’hyperconsommation, d’hyperindividualisme se passionne pour l'écologie qui demande moins de consommation, plus de sobriété, plus de solidarité... Cela semble tout à fait paradoxal sauf lorsque l'on comprend que le récit est là pour dissimuler une médiocrité de plus en plus voyante.

Avec l’écologie cependant, le « récit » qui a pour fonction de soustraire au regard la médiocrité pourrait permettre de la mettre en lumière de manière inattendue. En effet, si tout le monde semble affirmer qu’il faut agir, personne ne semble prêt à supporter les sacrifices nécessaires et l’on assiste à un flot ininterrompu de paroles qui n’entraine aucun acte concret substantiel. Ainsi, les « sommets de la Terre » et les « marches pour le climat » se succèdent et les défenseurs de la planète agissent de manière symbolique en multipliant les « petits gestes » pour l’environnement… Pendant ce temps-là, la satisfaction des petits plaisirs continue d’aller bon train.

On pourrait croire qu’en choisissant l’écologie, les masses vont se trouver prises à leur propre piège. Les contradictions sont en effet si flagrantes entre le discours et la réalité que la passion pour le bien-être qu’il s’agissait de dissimuler se trouvera plutôt mise en lumière. Ce serait oublier l’élément déterminant qui a fait passer l’écologie du statut de passion confidentielle à celui de passion universelle : le réchauffement climatique. Le climat est un objet si vaste, si complexe, si peu concret que le projet qui consiste à le « maîtriser » ne peut être que filandreux. Avec cet objet insaisissable, tout s’avère absolument invérifiable et on est sûr d’une chose : les résultats des politiques préconisées, si celles-ci se concrétisent un jour, se baladeront quelque-part au milieu des cycles climatiques et des temps géologiques. Ainsi, au milieu de ce grand flou, naît une parodie de mobilisation qui peut faire illusion. Tout est grave, mais rien n’est jamais perdu. Tout est urgent, mais il est toujours temps d’agir… Dans un jeu de dupe, les discours dénonçant l’inaction et les simulacres d’action se répondent et s’entretiennent.

Le discours de l’écologie est un discours de « diversion ». L’être humain se raccroche aux récits qui servent le mieux de paravent parce qu’il a du mal à accepter cette médiocrité qui s’exprime d’autant mieux qu’il vit dans l’abondance. Ce besoin de « faire diversion » et de s’inventer un destin est si ancrée que des formes de religiosité finissent par se manifester. Les masses deviennent mystiques. Elles sont enfermées dans un processus contre lequel la raison est impuissante car le mythe répond à un besoin presque vital. Dans ce cadre, il est particulièrement intéressant de constater comment la science, à travers certains hommes et certaines institutions censés la représenter, participe de l’irrationalité du monde en alimentant le récit de l’apocalypse. « La science » est en train de se mobiliser pour propager le mythe : cela pourrait surprendre mais n’a, en fait, rien d’étonnant. La science s’est mise depuis un certain temps déjà au service des besoins vitaux de l’être humain. Comme diraient les institutions européennes, les chercheurs doivent désormais répondre aux « défis sociétaux ». Ils ont donc perdu en grande partie leur indépendance. La science étant soumise aux nécessités et aux injonctions de l’être vivant, elle peut naturellement se mettre à alimenter les récits et les mythes dont la raison d’être est de satisfaire un besoin. C’est pourquoi elle peut avoir tendance à se transformer en « pseudoscience » au sein même de tous les lieux de production du savoir, même les plus prestigieux…

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En librairie pour comprendre le “phénomène écologie”