Des médecins aux ONG, le règne des conflits d'intérêts

Chronique pour le magazine Transitions & Energies n°8 printemps 2021

« Je tiens à mentionner que je n’ai aucun lien d’intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques ». Cette phrase constamment répétée par les médecins interrogés dans les médias nous est devenue familière. La formule venant alourdir l’échange, à l’image de la note de bas de page venant ralentir la lecture d’un texte, a l’avantage de rappeler qu’une parole n’est jamais innocente. On parle toujours de « quelque part ». En cet âge d’or de la gouvernance où l’ensemble des « parties prenantes » est systématiquement associé aux prises de décisions politiques, il est important de le comprendre. Dans le domaine de la santé, les liens d’intérêt avec les laboratoires ont pu avoir de tels effets négatifs qu’il a été nécessaire de légiférer. Ainsi, ce leitmotiv est dorénavant partout dans la bouche des professionnels de santé et on peut tout savoir des relations qu’entretiennent ces derniers avec l’industrie pharmaceutique en parcourant le site « transparence santé ».

Il n’est sans doute pas souhaitable que ce système soit généralisé à tous les domaines tant la multiplication des « avertissements » alourdirait les rapports sociaux. Cependant, les décideurs publics et les médias doivent constamment s’interroger sur les liens d’intérêt que peuvent avoir leurs interlocuteurs. Ainsi, dans un domaine qui nous est cher, devraient-ils recueillir avec prudence l’avis de certaines personnalités aujourd’hui très influentes comme Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean. Ces derniers sont les associés fondateurs de Carbone 4 qui est le premier cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie bas carbone. Il semble évident que l’alarmisme climatique sied à leurs affaires et qu’ils aient donc un certain intérêt à l’entretenir. Or, ils font partie ou ont fait partie d’un nombre incalculable de commissions publiques sur le climat ou l’énergie. Côte-à-côte, ils siègent même au sein du Haut Conseil pour le Climat. Carbone 4 a donc deux sièges au sein de cette instance quand le CNRS, l’INRAE, ou le CEA se contentent d’un seul… Il est assez stupéfiant que ce conflit d’intérêt majeur ne soit révélé ni par les instances officielles, ni par les journalistes, ni par les deux chantres de la transition énergétique qui se grandiraient, comme les médecins, à jouer la transparence et à se mettre en retrait. 

Par ailleurs, il est un type d’acteur qui agit en apparence pour l’intérêt général et dont il serait pourtant sage de limiter la sphère d’influence. Je veux parler des associations... Depuis 1901, elles déclarent ne poursuivre aucun but lucratif mais, n’oublions pas qu’avec le temps, certaines d’entre-elles ont grandi et sont devenues des ONG… Elles brassent beaucoup d’argent, rémunèrent un nombre important de salariés et grâce à leur visibilité, offrent stature et notoriété à leurs représentants qu’ils soient directeurs, présidents ou porte-paroles… Avec le succès, il arrive souvent que les besoins et les ambitions des hommes qui les composent deviennent leur principale force motrice et non plus la raison désintéressée qui a présidé à leur naissance. Autrement dit, les besoins de la « structure » ont tendance à prendre le dessus sur ceux de la cause. Dans les sociétés riches, les « sujets » qu’elles portent ont par ailleurs fréquemment été pris en compte par les pouvoirs publics, ce qui les conduit à se radicaliser. Leurs « sujets » doivent en effet continuer d’exister car ils conditionnent l’afflux des moyens à même de faire perdurer leurs « structures ». Les ONG deviennent ainsi de plus en plus tatillonnes, exigeantes, jusqu’au-boutistes… Elles doivent coûte que coûte conserver des raisons d’exister et c’est ainsi sans doute qu’elles sont gagnées par l’idéologie. Ces grandes « institutions » finissent par jouer un rôle néfaste parce qu’elles sont de plus en plus gouvernées par leurs intérêts. 

On redoute avec raison l’influence des grandes entreprises, mais on devrait considérer les ONG avec encore plus de méfiance car quand les premières avancent avec leurs gros sabots, celles-ci progressent à pas feutrés. Par exemple, les liens sont si forts aujourd’hui avec le ministère de la transition écologique, qu’on est en droit de parler d’une véritable « co-gestion ». La porosité est partout entre les sphères de l’Etat et les ONG. Elles fournissent des responsables aux partis politiques, ces antichambres du pouvoir, et en plus de déverser partout et constamment leurs avis et analyses, fournissent pléthore de conseillers aux cabinets ministériels, de directeurs à l’administration et même de ministres aux gouvernements ! Voici sans doute comment l’idéologie s’est confortablement installée au coeur du pouvoir et a conduit celui-ci à prendre des décisions souvent inconséquentes sur des sujets cruciaux comme l’énergie. 

Il n’est ici nullement nécessaire de légiférer. Il suffit de les maintenir à bonne distance comme on le ferait avec un médecin en situation de conflit d’intérêt. Il en va de l’intérêt de la nation.