L'obsédant Monsieur Trump
La réélection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a été accueillie avec un certain plaisir, non dissimulé, dans les milieux industriels en Europe, inimaginable en 2016. Seule une partie de la classe politique, notamment européenne, ne veut pas comprendre que son vieux monde disparait. Par Bertrand Alliot.
La scène se passe dans le cadre prestigieux du Cercle de l'Union Interalliée à Paris, le 30 janvier dernier. La cravate est de rigueur pour les hommes. Les femmes n'ont eu aucune consigne, mais elles ont opté pour le tailleur, un excellent choix. Le Club Economique Franco-Allemand, en partenariat avec la Chambre Franco-Allemande de Commerce et d’Industrie(CFACI), organise ce soir-là une table ronde intitulée « Interdiction des moteurs thermiques en 2035 : Objectif tenable pour la filière automobile ? ».
Devant le parterre d'une centaine de personnes, il y a du beau monde pour débattre : Laurent Favre le Directeur Général de OPmobility (anciennement Plastic Omnium), François Roudier, secrétaire Général de l’Organisation Internationale des Constructeurs d’Automobiles (OICA), Dr Frank Niederländer, Vice-Président des Affaires européennes du Groupe BMW et Marc Mortureux, Directeur Général de la Plateforme automobile (PFA). Aux personnes présentes, il faut ajouter Pascal Canfin, eurodéputé Renaissance qui n'a finalement pu faire le déplacement, mais dont l'intervention vidéo est diffusée.
Un souffle nouveau…
Tous les intervenants de cette soirée se montrent inquiets : la politique de l'Union Européenne et l'interdiction de la vente future de moteurs thermiques les ont conduits à développer, tambour battant, la voiture électrique. Pourtant, les ventes sont en berne. L'industrie s'inquiète de la rentabilité de ses investissements et des risques d'amendes. Etrangement, personne ne semble remettre en cause l'objectif de l'électrification du parc automobile, comme s'il allait de soi que cette dernière serve l'objectif de décarbonation… Soirée organisée sous le signe de l'entente franco-allemande oblige, il est sans doute sage d'éviter les sujets qui fâchent…
En tous cas, tout le monde s'interroge sur la capacité de l'industrie à tenir le rythme et à tenir le choc. Tout au long de cette soirée, chacun a pourtant montré le même motif de satisfaction : un souffle nouveau vient de l'Amérique. En 2016, lors de la première élection de Donald Trump, aucun membre de ce panel n'aurait eu l'idée de se réjouir publiquement. Les temps ont bien changé : aucune pudeur aujourd'hui à saluer le tournant américain et la fin probable de nombreux carcans économiques, fiscaux et environnementaux qui, ici, continuent de peser lourdement sur l'industrie. Le représentant de BMW est raisonnablement optimiste : au sein de la vieille Europe, la situation n'est pas idéale, mais le dégel amorcé par les « trumpistes » va sans doute permettre à son entreprise de faire de bonnes affaires sur le territoire américain.
Bruxelles accroché au vieux monde
Tous semblaient donc peu ou prou sur la même longueur d'onde, sauf l'homme de Bruxelles qu'on oublierait presque si son visage n'était pas projeté sur écran géant. Pascal Canfin, avec cet air d'éternel d’adolescent timide, délivre son message habituel. Il faut, coûte que coûte, respecter les objectifs définis par le Pacte Vert même s'il se dit par ailleurs favorable à certaines discussions sur des « modalités » qui permettraient à l'industrie automobile d'organiser une transition plus paisible. L'ancien membre des Verts vient rappeler la dure réalité aux malheureux européens qui lui font face.
En l'écoutant, on ne peut s'empêcher de penser que la présence de l'Eurodéputé est un peu anachronique. Il semble déjà loin le temps où, comme président de la commission chargée de l'environnement de la santé publique et de la sécurité alimentaire, il tirait les ficelles au Parlement européen. Sous l'impulsion de Manfred Weber, le Parti Populaire Européen (PPE), principal groupe au Parlement de Strasbourg, est en train de consolider progressivement une alliance à droite au détriment de ses anciens alliés du centre et des écologistes. Pascal Canfin n'est plus l'homme influent qu'il était et le pacte Vert qu'il chérit est aujourd'hui la cible de ses anciens alliés.
Surpris par leur audace…
Les participants à la table ronde ont encore du mal à y croire, mais l'Amérique est bien redevenue celle de Trump et l'Europe n'est déjà plus celle de Canfin. On peut évidemment citer facilement Antonio Gramsci. « Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître, et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres ». On peut y ajouter que c’est en Europe que le nouveau monde a le plus de difficultés à émerger.
Ainsi, toujours un peu déboussolés par les bouleversements récents, on sent les industriels encore un peu hésitants. Les mots de conclusion de Laurent Favre ménagent encore la chèvre et le chou : « indiscutablement, nous avons besoin d'air, mais nous devons, sans relâche, soutenir un projet ambitieux de décarbonation ». « Je suis entièrement d'accord » lui répond le président de la CFACI Guy Maugis, quelques minutes plus tard. Pourtant, ce dernier finira par avouer, à la plus grande satisfaction de la salle, quel est son plus grand motif d'espoir : le retour triomphant de Donald Trump. Le Kaiser américain ne vient-il pas, pourtant, de sortir son pays des Accords de Paris ? Gageons qu'il faille encore un peu de temps pour que les discours convergent vraiment…