Le jour sans fin de la décadence européenne

La scène se passe le 14 novembre dernier, Stéphane Séjourné qui doit devenir « vice-président exécutif pour la Prospérité et la Stratégie industrielle » de la Commission européenne est auditionné par le Parlement européen. La composition de la Commission doit être, rappelons-le, validée par les parlementaires européens et chaque commissaire doit passer son « grand oral ». Lisant ses notes, l'ancien ministre de l'Europe et des Affaires Etrangères français se dit convaincu "qu'il faut décarboner et industrialiser en même temps" puis il ajoute "il n'y a pas d'industrie sans décarbonation et il n'y aura pas de décarbonation sans industrie".

La formule "en même temps" est devenue le symbole de l'appartenance au camp présidentiel mais surtout celui du non-choix en politique qui conduit à l'immobilisme ou à la paralysie. En réalité, vouloir en même temps décarboner et industrialiser revient à organiser un exercice de tir à la corde. Il en résulte soit la neutralisation des participants, soit la chute de l'un et, par conséquent, le triomphe de l'autre. Ainsi, la déclaration du commissaire européen indiquant que l'industrie ne peut aller sans décarbonation et vice et versa, en l'état actuel de nos technologies, est tout simplement stupéfiante. Tout analyste sérieux a bien compris que le projet de décarbonation mené tambour battant dans le cadre du Pacte Vert est aujourd'hui un handicap sérieux pour l'industrie. Dans la même intervention, Stéphane Séjourné souligne par ailleurs que "le coût de l'énergie est deux à trois fois plus élevé que nos concurrents", mais l'impétrant n'a manifestement pas encore conscience que l'objectif de la neutralité carbone a eu un impact délétère sur le prix de l'énergie… 

L'audition de Stéphane Séjourné démontre une nouvelle fois la déconnexion des élites politiques européennes qui ne parviennent pas à remettre en cause certains dogmes alors que l'Europe est en train de s'enfoncer dans une crise sociale, financière et géopolitique inédite. Le contraste est saisissant avec ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique. Alors que l'Europe s'aventure à organiser un tir à la corde grandeur nature, l'Amérique s'apprête au contraire à libérer les énergies. Donald Trump a fait une série de nominations qui pourrait bien s'avérer décisive pour la compétitivité de l'économie américaine. Le tonitruant patron du réseau social X, Elon Musk, a été placé à la tête du nouveau « ministère de l'efficacité gouvernementale » pour réduire la dépense publique et organiser la dérégulation. Chris Wright, PDG de l’entreprise Liberty Energy, spécialisée dans la fracturation hydraulique, a été nommé secrétaire à l'énergie. Sa feuille de route est claire : organiser la prospérité énergétique en stimulant l'innovation et en réduisant les barrières administratives. Enfin, Robert Kennedy Junior est nommé à la santé. Si beaucoup de médias insistent sur sa réputation d'antivax primaire, son ambition est en réalité de lutter contre l'influence du complexe agroalimentaire et des laboratoires pharmaceutiques, la question de la vaccination étant pour lui secondaire. De longue date, Robert Kennedy est un militant écologiste qui, en tant qu'avocat, a œuvré contre les effets délétères sur l'environnement et la santé de certaines substances, en partie commercialisées par des multinationales. 

La différence d'état d'esprit d'une rive à l'autre de l'Atlantique est tout à fait frappante. Sans ambiguïté, l'Amérique souhaite se débarrasser des carcans qui entravent la liberté d'entreprendre et qui grève la compétitivité de son économie. En même temps, il y a une volonté affirmée de mettre à mal certains secteurs économiques ou certains pans de l'administration qui ne doivent leur existence qu'à la surabondance de normes et de réglementation. Le choix des personnalités qui conduiront l'action de l'état fédéral américain est aussi significatif. Il s'agit de vieux briscards ayant eu de hautes responsabilités dans le secteur industriel, de la protection de l'environnement et des nouvelles technologies et ayant acquis une solide expérience professionnelle. Face à la détermination de l'Amérique, l'Europe cultive l'indécision et nomme, pour conduire la politique industrielle, un frêle jeune homme n'ayant que l'expérience des partis politiques et des cabinets ministériels. Cette situation fait naître en nous, une furieuse envie de franchir le mur pour passer à l'ouest.

Pourtant, il ne faut pas désespérer : l'Europe sera tôt ou tard contrainte de choisir le chemin le plus court vers la prospérité et donc de cesser de tirer à hue et à dia. Le Parlement européen a toutes les cartes en main pour provoquer un tel sursaut. Depuis quelques semaines, le Parti Populaire Européen (PPE), majoritaire dans l'hémicycle, a pris l'habitude de délaisser ses anciens alliés de gauche pour trouver des majorités avec les partis de droite beaucoup plus critiques des choix en matières énergétique et environnementale. Doucement, mais sûrement, la donne est donc en train de changer. Lors de la session plénière du 25 au 28 novembre à Strasbourg, les parlementaires européens décideront peut-être de ne pas entériner la composition de la commission européenne. A l'heure où vous lirez ces lignes, nous saurons donc si les parlementaires ont envoyé un signal fort pour que cesse le petit jeu malsain du tir à la corde.