Ne touchons pas à Jean-Marc Jancovici

Ma dernière chronique pour le magazine Transitions & Energies “Méfions-nous de Jean-Marc Jancovici, le singe savant de l’énergie” n’a pas laissé indifférent. A ce jour, 534 847 « impressions », 859 commentaires, 626 « réactions » sur LinkedIn et de très nombreuses visites sur mon site personnel.  Ce « succès » s’est traduit par de très nombreuses marques de désapprobation et insultes publiques (en commentaire essentiellement), mais aussi par de nombreuses marques de soutien le plus souvent privées (par message) et par un nombre important de personnes me sollicitant pour entrer dans mon réseau LinkedIn.

Ce papier comportait des critiques de fond qui n’ont été discutées par personne si ce n’est par l’intéressé lui-même (partiellement cependant). En effet, Jean-Marc Jancovici a pris le temps de répondre de manière dépassionnée (sa réponse totalisant 6118 "likes”) ce qui contraste avec les commentaires le plus souvent agressifs. Voici quelques précisions me permettant de répondre à mes détracteurs et contradicteurs et d’expliquer à nouveau mes messages clés :

Deux remarques préliminaires :

  • La forme m’a été beaucoup reprochée. Je n’attaque pas le physique de Jean-Marc Jancovici contrairement à ce que beaucoup ont affirmé. Je fais une chronique consacrée à un personne publique et, ce qui est assez classique en pareille circonstance, je commence par la décrire, par dépeindre ce qu’elle m’inspire. Il faut comprendre que la chronique est aussi un exercice de style. Le premier devoir de l’éditorialiste est de provoquer le plaisir littéraire au risque de n’être lu par personne. Une chronique réussie est, au minimum, une chronique où l’on ne s’ennuie pas… Jean-Marc Jancovici me fait penser à ces enfants si érudits qu’ils en deviennent des bavards invétérés et qu’on nomme familièrement des « singes savants ». Cette image m’est venue spontanément à l’esprit et n’en faisons pas tout un fromage... On peut trouver cette description ratée, mais elle ne constitue pas une attaque « personnelle ». L’intéressé lui-même a bien compris que ce n’était pas l’essentiel, lui qui n’a été nullement ému par mon entame…

  • Je souligne quand même ici ce que littéralement personne (et je trouve ça significatif) n’a daigné relever : je rends un hommage appuyé au sympathique Jancovici ! Sans ironie, je souligne ses performances « admirables », son « réalisme », son « absence de parti-pris idéologique et politique ». J’écris, en d’autres termes, que la personne a un certain panache. Ma chronique n’est donc pas univoque. J’estime d’ailleurs - et comment pourrait-il en être autrement ? - que Janco est très utile au débat public sur l’énergie.

Pourtant, c’est mon droit de citoyen et d’homme engagé de trouver que certaines de ses attitudes ou positionnements sont problématiques et peuvent avoir une influence négative sur les choix opérés par notre pays en matière énergétique. Au vu de l’aura du personnage, il m’a semblé nécessaire de les mettre en exergue pour les critiquer.  Voici donc le cœur du sujet et les trois points de ma chronique qui doivent être discutées :

  1. Janco est un commentateur incorrigible de la « météo ». Notre société est d’une fébrilité extrême et à chaque nouvel événement météorologique, la bulle médiatique enfle, de manière que j’estime déraisonnable. On peut s’inquiéter avec raison d’un changement climatique, sans pour autant tomber à chaque fois (une fois tous les 3 mois) dans une sorte d’hystérie collective comme si chaque nouvel évènement était un signe nouveau de l’apocalypse climatique. Dans ce contexte, la manière avec laquelle Jancovici, personne très suivie et appréciée, jette de l’huile sur le feu en commentant chaque phénomène ne me parait pas responsable car, comme je tente de l’expliquer, un évènement isolé n’a pas de signification en soi sur l’évolution du climat. Il faut uniquement s’attacher à commenter les séries de données qui s’étalent sur des décennies voire davantage. Je souligne au passage que Jancovici ne commente jamais (ou très rarement) les épisodes de froid extrême ce qui n’est pas cohérent. Enfin, oui, j’avoue bien volontiers mon erreur ou mes inexactitudes (comme dirait Janco) sur le rapport du GIEC. J’ai été trop vite en besogne. Le GIEC mentionne bien une augmentation de certains phénomènes extrêmes (cohérent d’ailleurs avec le constat d’une augmentation des moyennes des températures terrestres depuis un siècle). Mais, la position du GIEC (je ne parle pas ici de celle exprimée dans le résumé à l’intention des décideurs qui ne reflète pas toujours le rapport lui-même) n’est pas univoque, loin s’en faut. Il souligne qu’un certain nombre de phénomènes extrêmes ne sont pas plus fréquents ni plus intenses qu’auparavant ou qu’il est impossible, en l’état actuel des connaissances, de l’affirmer. Il en est ainsi pour les inondations, les « sécheresses météorologiques », les cyclones tropicaux, les orages, les tornades, les épisodes de grêle, les vents extrêmes (AR6 WG1, Weather and climate Extreme ; Events in a Changing Climate)… Ce fait est toujours passé sous silence. Quoi qu’il en soit, il faut savoir garder son calme et il inutile de monter en épingle tout évènement un tant soit peu inhabituel car il n’a pas forcément de signification globale.

  2. Si l’on écoute bien Jean-Marc Jancovici, le but principal de notre politique énergétique est de nous sortir des « ornières climatiques ». C’est cet objectif que je conteste. Je pense que notre politique énergétique doit avoir des objectifs modestes et atteignables à savoir, comme je le dis, d’avoir « une énergie si possible abondante et bon marché dans un contexte de raréfaction des ressources ». L’objectif de Jancovici (qui n’est pas que le sien bien sûr) est tout simplement inatteignable. Nous sommes dans l’incapacité, même en réduisant drastiquement nos émissions, qui plus est à l’échelle de la France, d’avoir un impact significatif sur le stock de CO2 dans l’atmosphère. L’inertie du système est telle que nos actions n’auront probablement aucun effet à des échelles de temps raisonnables. Par ailleurs, nous agissons à l’aveugle : jamais nous ne verrons les effets de nos actions et si, toutefois, ces effets étaient constatés plus tard par nous-mêmes (soyons fous) ou par nos descendants, nous serons ou ils seront en totale incapacité d’affirmer qu’ils viennent bien des actions qui ont été menées... Par ailleurs, si le réchauffement climatique est observable, qui peut affirmer avec certitude qu’il produira les effets désastreux annoncés par les gros titres des journaux ? En réalité les incertitudes sont très importantes et constamment présentes dans le rapport du GIEC (et non encore une fois le résumé pour décideurs). Oui, j’estime en effet que la crise COVID doit aussi nous servir de leçon car beaucoup de projections basées sur des raisonnements scientifiques (qui pourtant concernaient un « objet » bien plus maîtrisable que le climat) se sont révélées erronées ou bien trop pessimistes. Où se situent maintenant le problème de l’objectif que porte Jancovici ? Dans le fait qu’il se traduise par cette volonté farouche de « décarboner à court terme et à tout prix ». Nous avons intérêt à considérer la décarbonation de l’économie, dans la mesure où les ressources fossiles vont a priori se raréfier. Mais vouloir la décarbonation à marche forcée est, à mon avis, une erreur. Le chaos, bien plus probablement, viendra de cette action précipitée plutôt que du climat lui-même. Si nous sommes un tant soit peu lucides, nous nous rendons bien compte que lorsque notre petit peuple perdu au bout de la péninsule européenne aura tout entrepris pour atteindre des buts incertains, le reste du monde réduira ces efforts à néant en moins de temps qu’il n’en faut pour organiser la moindre fresque du climat. Qui ne voit pas que les sommes absolument colossales consacrées de par le monde pour le climat n’ont pas le moins du monde fait infléchir les courbes d’émission de CO2 et donc encore moins fait baisser la quantité présente dans l’atmosphère ? La lucidité est une faucheuse qui poursuit les rêves de grands soirs. Je sais bien que beaucoup ont trouvé là un gagne-pain ou une raison de vivre, mais on ne peut poursuivre raisonnablement toute sa vie des rêves d’adolescent. On a tous eu, accroché aux murs de nos chambres, les posters de nos héros. Pour beaucoup, Jancovici en est un car il a un immense talent et a sans doute beaucoup travaillé. Sa réponse dépassionnée qui contraste tant avec les centaines de messages agressifs montre que les rôles sont partagés. Lui ferraille sur scène en jouant sa partition, tout en lucidité, et ses suiveurs applaudissent ou conspuent. Le poster ne peut rester pourtant indéfiniment accroché au mur de la chambre. Il faut redescendre sur terre. La politique énergétique de la France ne peut être de poursuivre l’objectif de maîtriser le climat de la Terre et d’essayer d’influer sur le temps qu’il fera demain et dans les siècles à venir. C’est trop beau et grandiloquent. Prenons le temps d’organiser une transition réaliste en ayant pour objectif modeste de pourvoir à nos besoins le plus efficacement possible en considérant les seules données tangibles et en utilisant les ressources encore disponibles tout en rompant avec la peur panique d’un réchauffement climatique qui n’est pas forcément synonyme d’apocalypse.

  3. Enfin, Jancovici a des conflits d’intérêt. Il est fondateur du cabinet Carbone 4, le plus gros cabinet de la place de Paris consacré aux stratégies bas carbone. Que le climat de « terreur » qui règne autour de la question climatique favorise ses affaires n’est, à mon sens, pas à démontrer. Ça ne signifie pas que son engagement soit dénué de sincérité. Mais, tout le monde peut comprendre que cette situation peut influer sur son positionnement ou ses attitudes et que ce n’est peut-être pas sans lien avec les deux points que j’ai développés précédemment. Il est, comme d’autres qui sont parvenus à ce stade de notoriété, un entrepreneur de sa propre personne et il fait vivre beaucoup de gens. Chacun d’entre nous pourrait être, dans sa situation, prisonnier de son propre personnage, mais aussi influencé par ses propres intérêts. Dans ce contexte, je continue à penser qu’il est tout à fait anormal que deux membres fondateurs de Carbone 4 siègent au sein du Haut Conseil pour le Climat.